Les petits bâtons et cercles fabriqués à partir de branches de platanes ramassés à Rhodes (dans l’allée des platanes dite « Platanakia » en grec, dans le centre historique de la ville) et associés à des cordages et céramiques recomposent une forêt de signes.
Chaque petite céramique a été créée à partir de l’empreinte du pouce de l’artiste dans la terre. Un geste simple, qui pourrait se répéter à l’infini, comme les branches des arbres que l’on pourrait ramasser sans fin, et les cordages des pêcheurs dont les tissages semblent ancestraux. Lise Chevalier peint ensuite dans son empreinte des motifs rouge feu ou vert forêt qui invoquent les éléments naturels. Elle scelle ensuite à la cire rouge et verte ces petites sculptures.
série évolutive, branche de platane de Rhodes, céramique, corde de pêcheur et cire, dimension variable, 2022
Exposition-Hommage à Jean-Luc Parant « En mémoire du merveilleux » musée Paul Valéry, Sète, novembre 2022-février 2023 Installation : cercle de Platanakia et poème manuscrit
Exposition Le chant des platanes, Auberge de France, île de Rhodes, juillet 2022
L’empreinte de l’œil Texte Jean-Luc Parant pour Lise Chevalier – 26 mars 2022
Si nous sommes touchables et à la fois visibles, c’est parce qu’il fait sans cesse nuit et à la fois sans cesse jour. Et que nous sommes autant identifiables par l’empreinte touchable de notre pouce, par la nuit qui nous recouvre que par le regard intouchable de nos yeux, par le jour qui nous enveloppe, comme l’empreinte de la lumière qui nous contient.
Il y a l’empreinte de son pouce qui donne la taille réelle de ce qu’elle touche. Et il y a le regard de ses yeux qui donne la taille sans mesure de ce qu’elle voit.
Si l’empreinte de son pouce peut être de la taille de son œil, c’est seulement de la taille de son œil fermé. Car, ouvert, l’œil n’a plus sa taille initiale, comme le soleil qui, quand il apparaît dans le ciel, ne brûle plus mais nous éclaire.
Avec ses petites empreintes en terre peinte, Lise Chevalier nous fait prendre conscience que lorsque nos yeux s’ouvrent ils se sont autant éloignés de notre visage que le soleil s’est éloigné de la terre dans le ciel.
Tout est loin pour briller : le soleil est au fond du ciel, nos yeux au fond de nos orbites, et les visions de Lise Chevalier au fond de ses empreintes en terre cuite et peinte. Mais même ses pensées qui sont si loin qu’elles ne sont plus visibles, brillent au fond de son cerveau.
Quand le soleil passe de l’autre côté de la terre, tout est près, comme si tout revenait se fermer dans le ciel, et se mettait alors à notre portée comme nos yeux quand ils reviennent se blottir sous nos paupières et y retrouver leur taille réelle.
Nous pouvons toucher nos yeux fermés, mais pas nos yeux ouverts. Comme nous pouvons toucher la nuit mais pas le jour. Comme si le toucher du jour était aussi impossible que le toucher des yeux ouverts, et que le toucher de la nuit était aussi possible que le toucher des yeux fermés.
Si nous touchons le jour, nous ne le touchons pas avec nos mains, nous le touchons avec nos yeux. Comme nous ne voyons pas la nuit, nous ne la voyons pas avec nos yeux, nous la touchons avec nos mains. Nous touchons la nuit et nous voyons avec nos mains.
Avec la peinture de Lise Chevalier, les mains deviennent des yeux et les yeux deviennent des mains. Nous passons sans cesse de la lumière à l’obscurité et de l’obscurité à la lumière. Nous réalisons alors que l’empreinte de son pouce n’est que l’empreinte de son œil, de l’œil intouchable, celui qui voit et qui existe en tant qu’œil, et que cet œil ouvert ne laisse aucune trace visible nulle part.
Comme si Lise Chevalier avait elle-même découvert sans le savoir que sa main pouvait recouvrir ses yeux, et le toucher recouvrir la vue, et la nuit recouvrir le jour. Et que toutes ses images pouvaient disparaître sous les yeux, comme la lumière sous les paupières ou comme le soleil sur la terre, mais aussi réapparaître à tout moment dans le jour qui nous éclaire, par l’empreinte de son œil sous son pouce dans la nuit.
Si nous sommes touchables et à la fois visibles, c’est parce qu’il fait sans cesse nuit et à la fois sans cesse jour. Et que nous sommes autant identifiables par l’empreinte touchable de notre pouce, par la nuit qui nous recouvre que par le regard intouchable de nos yeux, par le jour qui nous enveloppe, comme l’empreinte de la lumière qui nous contient.